Bolivia Inti à Arequipa

Quand même c'est quetchose Bolivia Inti.

Cette semaine le stage avait lieu à Carlos Baca Flor, au pied du volcan Chachani. Un coin de désert, routes de poussière, rios secs couverts de détritus, murs de pierre empilées sans ciment. L'extension du réseau d'eau est une conquête récente, du moins le long de l'axe principal. Ici, dix mois par an, seule une tempête de sable peut mettre sa raclée au soleil. Les arbres se comptent sur les doigts d'une huître, et sont arrosés religieusement à l'eau de vaisselle.

Le stage a lieu dans un local associatif, une sorte de resto du coeur local. la cuisine vient d´être saccagée, et ses murs détruits : Des employés avaient piqué de la bouffe, ils ont été virés, alors ben ça ne s'est pas passé comme ça.

Bon voilà le décor est posé, glauque à souhait. Vous chialez déjà ? Moi, si. Si je puis me permettre, et sauf son respect, moins pénible au soleil mon cul.

L'équipe est là, Jose, Eddith, Enrique, Jessica, Francisco. Et aussi les 20 personnes qui vont construire leur four, toutes des femmes cette fois-ci.

Lundi, le stage commence. Les femmes écoutent les premières instructions, silencieuses, fatiguées, graves. Elles assemblent, elles clouent, timidement, avec appréhension, puis avec de plus en plus d'assurance.

Mardi, les dames sourient, clouent, discutent un peu, épluchent des légumes pour le repas du midi. Toute l'équipe guide, encourage, rectifie, accompagne, recadre. Commence à voir dans ce groupe l'ensemble des personnes présentes, et non le Nième stage de leur carrière. Et se laisse peu à peu gagner par l'enthousiasme.

Mercredi, ça cloue, ça colle, ça rigole. Les nanas épluchent la laine en faisant des grosses blagues. Le midi on partage les repas préparés et expliqués par Eddith et Jessica. C'est l'occasion d'échanger des cours de langue. J'ai appris avec soulagement qu'en quechua la prononciation de Amara pusa tatay (bonjour) est sensiblement différente de celle de Sicita liahway (lèche mon cul). Pour ma part, je leur ai appris quelques expressions raffinées qui leur permettront de recevoir dignement notre petit Nicklaus au cas où il viendrait jusqu'ici leur expliquer le concept d'immigration choisie.

Jeudi, ça ponce, ça peint, ça oublie pour quelques heures toute la merde du quotidien. Les filles créent des liens entre elles, école Baca Flor promotion tournesol. Elles préparent fébrilement le menu du vendredi, qui sera offert et préparé par toutes les vingt, et cuit dans leurs tout nouveaux fours solaires. Ce sont maintenant 20 collégiennes hilares et appliquées qui donnent la dernière main à leur oeuvre. Deux jours de plus, ça finirait en gospel ou en bataille de polochons.

Nous les gringos, pendant les stages on ne sert pas à grand-chose, sinon à partager ces instants. L'alchimie se passe entre les stagiaires, et avec l'équipe. On donne des coups de main, on participe à l'ambiance. On donne un visage à la fraternité qui anime les salariés, bénévoles et donateurs occidentaux, et qui permet le financement et l'organisation de ces stages. Et on écoute les filles raconter leur histoire, qui est quelquefois à chialer sa mère par les trous de nez.

"Ben moi j'étais orpheline alors on m'a placée dans une famille. J'y ai travaillé 28 ans sans être payée. Je suis libre depuis janvier. J'avais nulle part où aller alors je vis ici chez quelqu'un. bon, tu reveux de la soupe ?"

Autre exemple, dans un autre stage : "Ben moi ça va bien m'aider de ne plus aller glaner du bois tous les trois jours, de 3 à 6 heures du matin, avant de prendre mon boulot. Il est où mon marteau ?"

Voilà, c'est vendredi. Ya interro pour voir si les gamines ont bien tout compris, et ensuite fête et repas de clôture. Liesse, embrassade, petites larmes et grands élans. Les filles se sont cotisées pour offrir une peluche à Jules, confectionnée par l'une d'elles. Elles chantent en rougissant des chansons en Quechua que j'enregistre pour l'école de Tom.

Et puis voilà, elles partent avec leurs fours, qu'elles payeront sur 4 mois avec les économies de combustible. Certaines emportent seules le leur sur leur dos, mais la plupart s'entraident deux par deux. Un vieux pick-up vient charger certains fours. Les autres partent à pied, leurs propriétaires s'effacent dans la tempête de poussière en nous faisant des grands signes, comme dans les flims. On ne les voit pas reprendre leur âge et leur vie. Nous, on attend le bus, flottant à quelques centimètres du sol. Une béatitude imbécile et légère m'envahit, et une poussière dans l'oeil.

On n'est pas dupe pour autant. On les voit bien, les 20 fours solaires qui s'éloignent entre les 10 000 baraques du quartier. On les voit bien, les 5 malheureux euros economisés par mois, face à l'épaisseur de la chape de misère qui retombe doucement.

Cette nuit, couché sur la terrasse, je maudis la vacuité de mon Ciel. Heureux Tom, pour qui il suffit de devenir grand et très très riche, et de tout donner sauf ce qu'on a besoin.

bisous, à bientôt

J'ai mis quelques photos de ce stage dans un nouvel album.

antoine

Comments

[mamine]

n'oublie jamais Antoine la petite goutte d'eau que le colibri transporte dans son bec pour éteindre l'incendie de la forêt vierge en disant : "je fais ma part"
et vous tous les 4 vous faite bien votre part!

bisous

Mamine

[Sylvain]

... ne jamais O grand jamais, lire ce blog au boulot.
Comment j'explique moi cette petite larme qui prend son temps pour faire le trajet "coin de l'oeil bas-d'la-joue" ?!
Hein, comment ?
Point de tempête de poussière dans ce bureau de nabbab ...
Le fondement chichement calé sur un fauteuil - dont la vente sur e-bay pourrait, à elle seule (je compte même pas le repose-pied réglable), payer des dizaines de stages - je m'empresse de faire disparaître cette bouffée d'affect inopinée d'un revers de manche bien senti ...

Merci beaucoup de me faire chialer, rire, sourire, rêver, ...

Allez zou ... sur e-bay !!